Depuis le 22 mai, le centre social « Cantiere » de la Via Monte Rosa 84 à Milan a déclaré un état d’alerte suite à des menaces croissantes de la part des nouveaux propriétaires du lieu. Espace occupé et autogéré depuis le contre-sommet de Gênes en 2001, le Cantiere a servi de lieu de rencontre, d’organisation et de fête à trois générations différentes de lycéen-nes, étudiant-es et jeunes précaires.
Occupant les anciens locaux de l’historique bar-restaurant Derby club, qui avait accueilli en son sein des concerts d’artistes de renommée, les équipes successives du Cantiere ont pris soin du lieu, en le remettant en état afin de pouvoir accueillir dignement chaque semaine en son sein des dizaines de personnes venant assister aux assemblées étudiantes autogérées, aux cantines à prix libre, préparer des manifestations, discuter publiquement des luttes sociales à Milan et ailleurs, danser pendant les soirées punk ou hip-hop…
Les nouveaux propriétaires, une agence immobilière qui voit dans ce projet un investissement de plus, n’ont pas souhaité attendre l’aboutissement de la procédure légale visant le centre social, augmentant progressivement la pression sur le Cantiere.
Aujourd’hui, ils misent sur une stratégie censée faire passer ce lieu pour inhabitable et dangereux pour ses occupant-es et le public. Afin de réagir à la menace d’expulsion, les travaux nécessaires ont été menés afin de garantir la sécurité du lieu, pendant qu’un appel à se rallier autour du Cantiere pour le défendre a été diffusé largement, rappelant l’engagement constant de ses militant-es pour le droit à la ville, au logement, au revenu digne, à une école publique et gratuite et contre toute forme d’oppression et de discrimination.
Lors d’une assemblée publique, le Cantiere a ensuite annoncé une campagne contre la gentrification des quartiers milanais en présence d’autres collectifs et lieux occupés confrontés à ce sujet. Enfin, les occupant-es du lieu ont aussi choisi de revaloriser son héritage, en invitant au Cantiere les artistes étant passé-es par le Derby club, notamment le comédien italien Paolo Rossi qui a exprimé son soutien à l’occupation.
La réalité géographique du Cantiere est unique à Milan : il se situe sur la frontière entre un quartier d’affaires et le quartier populaire de San Siro, connu pour les années de luttes pour le logement digne auxquelles les différentes générations de militant-es du lieu ont largement pris part.
Cet espace nous paraît, aujourd’hui comme toujours, essentiel en tant qu’il représente une véritable alternative autonome à la domination de la spéculation immobilière dans les quartiers en voie de gentrification, poussant dehors les personnes précaires et marginalisées, ainsi qu’un point de ralliement pour tant de jeunes mobilisé-es au sein de leurs écoles, universités et dans la rue.
L’équipe du CICP garde un lien avec celle du Cantiere depuis des années et lui exprime son plein soutien. Nous nous exprimons depuis une position différente, mais les nombreuses luttes au croisement desquelles se trouvent le Cantiere, du droit à la ville à la solidarité avec les luttes palestiniennes, nous font profondément écho dans notre propre contexte politique et social.
Nous croyons fermement en un réseau international de lieux de solidarité, dont les situations locales spécifiques nous permettent d’élaborer collectivement une analyse plus juste des enjeux auxquels on fait face ainsi qu’une palette de solutions toujours plus vaste, telle qu’elle pourrait endiguer la montée de l’extrême-droite, présentant une alternative politique et sociale fondée sur l’entraide. C’est ce réseau-là que nous avons vocation à construire ensemble.
Nous partageons ci-dessous la traduction du communiqué du centre social Cantiere. Pour plus d’informations, rendez-vous sur https://www.cantiere.org/.
Après 24 ans, le Cantiere a été revendu.
Une entreprise financière et immobilière a pressenti là une énième affaire dans cette ville de Milan qui croît à coup de ciment et de spéculation immobilière.
Les nouveaux propriétaires parlent d’ “inhabitabilité”, mais si l’immeuble de la via Monte Rosa 84 est encore debout, c’est uniquement grâce à la sueur et au désir de celleux qui ont fait de l’auto-récupération une pratique de construction d’espaces d’alternative et de résistance. L’engagement de tou-te-s est ce qui a permis à ce bout d’histoire de Milan, qui avait accueilli le Derby Club avant nous, de continuer à vivre.
Milan n’a pas besoin d’un autre chantier emballé de filet orange, ni de béton coulé par des camions dangereux s’engouffrant dans la circulation urbaine : un rythme incessant qui fait s’envoler le prix des loyers et le coût de la vie, balaie des avenues entières bordées d’arbres, polluant et étouffant la terre et l’air.
Milan a besoin de son Cantiere [chantier, en italien], où des générations de jeunes se sont rencontrées et organisées pour résister, imaginer et lutter, du G8 à Gênes [en 2001] à aujourd’hui, avec l’idée d’un monde meilleur.
Depuis 24 ans, le Cantiere est au carrefour de luttes pour l’école publique, pour le droit au logement et au revenu, pour un monde éco-transféministe, une société décolonisée et libérée de toute forme de discrimination et d’oppression.
Le Cantiere était et reste un laboratoire d’alternatives et de contre-culture, où les langues, les sons, les rythmes et les goûts de la métropole se mélangent pour donner vie à des expressions artistiques et créatives.
Le Cantiere était et est toujours un espace plus sûr pour tou-te-s, où chacun-e peut librement être ce qu’iel veut, même s’iel s’écarte de la “norme” ou a un portefeuille vide.
Nous avons tou-te-s besoin du Cantiere, mais désormais le Cantiere est en état d’alerte et a besoin de nous tou-te-s.
En 2025, nous croyons encore et toujours à la valeur des espaces occupés, car l’occupation est la réappropriation de l’espace, du temps et de la valeur, sous-traits au néolibéralisme et au profit de quelques-uns. Une alternative à la grise perspective milanaise.
En 2025, nous croyons encore et toujours à la valeur de l’autogestion comme pratique d’autonomie, dans un monde qui nous habitue à la délégation de la politique, de la pensée et de nos vies.
Le Cantiere ne se réduit pas au bâtiment Art nouveau qui l’abrite.
Le Cantiere est une multitude de personnes, de pensées et d’imaginations rebelles, qui s’émancipent des murs qui les accueillent.
Le Cantiere de la Via Monte Rosa 84 est un symbole, et s’il est vrai que nous existons et respirons à travers nos luttes, alors il sera vital pour nous de défendre ce lieu et ce symbole.
C’est cela qui nous qualifie, c’est le moment où nous élaborons des imaginaires alternatifs, poussé-es à bouger, à réfléchir et à conspirer ensemble.
L’intérêt des spéculateurs nous rappelle à quel point les briques qui nous entourent sont précieuses et à quel point ces murs sont subversifs. C’est précisément pour cela que nous avons besoin de tou-te-s.
Si vous voulez nous prendre le Cantiere, vous devez réquisitionner toutes les maisons vacantes, publiques et privées. Vous devez multiplier les centres anti-violence et les centres d’écoute autogérés.
Si vous voulez le Cantiere, vous devez abattre les barrières et les frontières.
Si vous voulez le Cantiere, vous devez ouvrir des espaces de sociabilité gratuite et accessible.
Nous sommes là, nous resterons là.
Sommes-nous des rêveur-euse-s ?
Oui, avec la certitude d’être tant.
Venez, soyons revêur-euse-s.
Nous sommes ici, nous resterons ici.
Motivé-es par le désir, jamais par le calcul.
Le Cantiere
Texte en italien disponible ici : https://www.cantiere.org/cantiere-per-tutt3/